"A force de ne pas parler des choses, par élégance, on ne dit rien, et on l'a dans le cul !"

Louis Ferdinand Céline

mardi 19 octobre 2010

Cette nouvelle tribu de gens qui votent démocrate

"Il y a quelques années Vivian avait vendu à deux couples de hippies une jolie fermette sur la route. Vivian m'avait alors dit que ce n'était sûrement pas des hippies à l'ancienne, car ils avaient payé la ferme en liquide et l'un des couples possédait une Volvo flambant neuve. Toujours est-il que les deux hommes portaient volontiers des fringues en cuir, et les femmes des robes paysannes à volants pour préparer beaucoup de pâtisseries qui n'étaient pas très bonnes. L'une de ces femmes, une certaine Deborah, m'a déclaré que de toute évidence j'avais besoin de manger davantage de lin. Très vite, les hommes se sont mis à porter des salopettes. Ils ont acheter un tracteur qu'ils conduisaient de-ci de-là sans but apparent. Ils élevaient une centaine de poulets pour leur chair et leurs œufs, mais n'avaient pas le courage d'en tuer un afin de le manger. (...) J'ai attrapé un veau pour que la hippie puisse le caresser. Elle a fondu en larmes à cause de la beauté de cette bête. Aucun d'entre eux ne semblait connaître quoi que ce soit à rien mais ils étaient pleins de bonnes intentions. Un dimanche, nous sommes allés chez eux pour nous régaler d'un pique-nique de poulets carbonisés. Il y avait là un grand nombre de leurs amis venus du sud de l'état. La plupart des voitures étaient plutôt tape-à-l'œil. Tous ces gens parlaient comme s'ils étaient les êtres les plus fascinants de la planète, mais je n'ai pas surpris la moindre conversation intéressante. Ils faisaient partie de cette nouvelle tribu de gens qui votent démocrate, mais qui ne connaissent apparemment aucun travailleur. Ils ne frayaient qu'entre eux. Un automne, à l'approche des habituelles rigueurs de l'hiver, les deux couples ont déménagé pour s'installer à Maui dans les îles hawaiiennes. Ils ont été très déçus quand nous avons refusé de récupérer leurs vieux poulets ou de racheter leur tracteur."


Jim Harrison, Une Odyssée américaine

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