"A force de ne pas parler des choses, par élégance, on ne dit rien, et on l'a dans le cul !"

Louis Ferdinand Céline

mardi 14 juillet 2015

Le soldat, gardien de l'espace et du passé, sentinelle de la longue durée

 
par Robert Redecker - le Figaro
 
Chaque 14 Juillet, la France découvre qu'elle a des soldats. Le soldat français retrouve alors une partie de sa visibilité perdue.
En effet, les dernières décennies ont cherché à le rendre plus ou moins invisible, surtout depuis la fin du service militaire obligatoire. Cette malheureuse réforme a coupé le lien entre le peuple et le soldat. Le soldat s'est fait rare dans les familles, dans les rues, dans l'espace quotidien. Tout se passe comme si, hors quelques manifestations spécifiques, on l'avait obligé à déserter l'espace public. Le 14 Juillet permet d'oublier cette mise à l'écart.
 Naguère la figure du soldat était à la fois populaire (chacun ayant accompli son service militaire détenait une connaissance intime de l'armée, exposée dans toutes les réunions de famille) et notabilisée (il ne manquait pas de soldats dans les conseils municipaux, au Parlement, à l'Académie française, dans de nombreuses institutions, partout le soldat brillait en société). Chaque Français se sentait concerné par l'armée parce que celle-ci était passionnément liée à l'existence de tous les jours. De fait, chacun estimait que les affaires de l'armée étaient un peu aussi les siennes. Chacun ne manquait pas de donner son avis sur son fonctionnement et ses buts.

Pourquoi a-t-on voulu cacher le soldat? La réponse est claire: parce qu'il incarne une réalité que certaines élites aimeraient bien détruire, qu'il importe de toute façon à leurs yeux d'enfermer dans le grenier poussiéreux des choses à jamais réduites à la caducité, le fait national. La présence du soldat dans la vie quotidienne risquerait de rappeler aux Français qu'ils sont une nation, de légitimer la question, décrétée taboue, de l'identité nationale. L'escamotage du soldat s'inscrit dans cette haine de soi que les tenants de l'idéologie dominante veulent contaminer au peuple dans son entier. Plus: on a voulu cacher le soldat parce qu'on a voulu cacher l'histoire comme histoire nationale. L'opinion articule la figure du soldat à l'idée d'espace, de frontières, de territoires. Mais il est tout aussi exact de l'articuler à l'idée de temps. Il n'est pas seulement le gardien de l'espace, il est aussi, l'un des gardiens du passé, la sentinelle de la longue durée.

À l'image du professeur et du prêtre, le soldat rend présent la continuité, actualise le temps long. Il maintient présent le passé le plus long, celui de la nation. Sans doute est-ce à cause de ce rapport à la longue durée que tous trois, le professeur, le prêtre et le soldat, peinent à conserver du crédit dans notre société qui développe le culte de l'instant présent? De ce fait, devenir soldat, professeur et prêtre ne fait plus rêver les adolescents.
Tous les trois pourtant sont voués à la transmission du passé aux générations nouvelles. Le professeur transmet le savoir, le prêtre la foi, le soldat la nation. Ensemble ils rappellent à notre époque une obligation à laquelle elle cherche à se dérober: l'être humain a des devoirs devant le passé.

Tout comme le professeur et le prêtre, le soldat est un héritier et un passeur d'héritage. Tous les trois sont les derniers héritiers au cœur d'une société d'inhéritiers, la nôtre, qui a transformé en catéchisme la triste vulgate issue de Bourdieu, selon laquelle l'appellation «héritier culturel» est une insulte. C'est toute, l'histoire de France qui vit dans chaque soldat. C'est elle qui bat dans son cœur. Ce sont 15 siècles, 40 rois et 5 Républiques, qui habitent ses gestes. Autrement dit un soldat ne représente pas seulement la France dans son état actuel, ni non plus uniquement la politique française d'aujourd'hui (par exemple au Mali).
Il représente tout le passé de la France. Tous les soldats de toutes les batailles depuis Hugues Capet, et même avant, celles de l'Ancien Régime, celles de l'Empire et celles de la République, revivent à leur façon sous l'uniforme du soldat français tel qu'il défile le 14 Juillet. Acceptant le risque d'être tué à l'ennemi, le soldat est pourtant aussi résurrectionnel: même à l'heure du don suprême, celle de sa propre vie, de sa jeunesse, tous les soldats de France trouvent leur résurrection en lui.

«J'aime les gens à uniforme: ils portent la livrée des hautes préoccupations» a écrit, magnifiquement, Barrès. C'est la livrée que le soldat porte quand il est tué à l'ennemi. L'uniforme du soldat est une livrée paradoxale: une noble livrée, une livrée qui place le soldat bien au-dessus de tous les porteurs de costumes civils dans la mesure où elle témoigne d'un service qui transcende les êtres et les époques, celui de la France. Son uniforme est livrée du gardien de la France, de son espace (le territoire) et de son temps (son histoire). De fait, ce n'est pas pour des idées que le soldat accepte de mourir - les fameuses valeurs républicaines, ou humanitaires, au service desquelles
on l'utilise désormais. Ce n'est pas non plus pour les Français. C'est pour une entité différente des Français, historique, et métaphysique plutôt que démographique: la France.

L'air du temps tourne-t-il? Du fait du retour du tragique de l'histoire en plein cœur de nos sociétés, à cause de la guerre ouverte que le terrorisme islamiste entend mener contre la France, ses façons de vivre et son peuple, ses libertés, le soldat réapparaît dans la rue, afin de protéger les abords des bâtiments publics, des églises et des synagogues. Ce retour peut aider à renouer le lien entre l'armée et le peuple. Du coup, le 14 Juillet changerait d'allure, devenant la fête des retrouvailles entre la nation et son armée. Quoi qu'il en soit, sans le soldat, ce que le 14 Juillet exalte n'existerait pas: la République, et la France (qui ne se réduit pas à la République, laquelle a été précédée par la monarchie et dont nul ne peut dire quel type de régime lui succédera).

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