"A force de ne pas parler des choses, par élégance, on ne dit rien, et on l'a dans le cul !"

Louis Ferdinand Céline

mercredi 9 décembre 2015

De 1984 à 2015, les apprentis sorciers et le Front national / par André Bercoff


Par André Bercoff
Publié le 07/12/2015 à 13h24


 FIGAROVOX/TRIBUNE - Alors que le FN a effectué une poussée importante au premier tour des élections régionales, André Bercoff juge qu'on ne s'en tirera plus avec le vieux disque dur des années 30. Pour l'écrivain, il faudra plus que jamais innover pour desserrer l'étau.

 Que s'est-il donc passé hier? Il nous faut reparler d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. En ce temps-là, le Front national était variable d'ajustement. Petit électeur, mange ta soupe parfumée à la droite ou à la gauche, sinon le grand méchant borgne viendra te dévorer comme aux jours les plus sombres de notre Histoire. François Mitterrand enseigna aux foules émerveillées l'art et la manière d'utiliser Le Pen pour mieux régner: le faisant inviter à «l'Heure de Vérité» et introduisant une dose de proportionnelle en 1986, afin que les électeurs inquiets sentent le souffle de la bête immonde. Entre temps, le stratège de Jarnac avait plumé la volaille communiste et l'avait contrainte à se réfugier dans une cabine téléphonique. Il ne lui restait plus qu'à agiter par intermittence le spectre du fascisme qui vient, histoire de continuer à vivre tranquille.


De même, grâce au choc de Jean-Marie présent au premier tour, Jacques Chirac fit un score quasiment soviétique en 2002: la démocratie en danger se mobilisa pour stopper, à poitrine nue, les Panzer divisions du Führer de Montretout prêtes à venir jusque dans nos bras, etc.. etc.. A son tour, en 2007, Sarkozy, à l'école de Patrick Buisson, en usa à l'égard du FN comme Mitterrand l'avait fait pour le PC. Identité, sécurité, fermeté: l'Elysée valait bien cette messe. 


Mais voilà-t-il pas qu'aujourd'hui le paysage se bouleverse et mute. La réalité du chômage, de la précarité, de l'échec du «vivre ensemble», des attentats et du communautarisme galopant: tout se passe comme si la donne est en train de se modifier totalement et qu'au bout de quarante ans d'alternance droite-gauche, les mots ont perdu leur sens, et les sens leurs mots. Et surtout, que de plus en plus nombreux sont les hommes et les femmes qui ne savent plus où ils habitent et qui ils sont. Une bonne moitié de la population française, reléguée dans les villes moyennes et périphériques, abandonnée sur ses propres terres, s'est vue passer par pertes et profits et ne l'accepte plus du tout. D'où une gauche en capilotade parce qu'elle s'est coupée d'une bonne partie de son peuple, ayant remplacé les ouvriers par les bobos, et la classe moyenne par les primo-arrivants. Quant à la droite républicaine, rongée par la primaire et écartelée entre centristes et souverainistes, modérés et radicaux, elle est comme un canard à qui on a coupé le cou et qui continue de vaquer en tous sens. En témoignent aujourd'hui la cuisine d'après premier tour, l'excommunication de Nadine Morano, l'ineffable offensive anti-crèches de Noël de François Baroin et d'un certain nombre de maires, les discours apaisants de NKM et de Juppé, contrastant avec la rage froide et un peu trop répétitive de Nicolas Sarkozy. Tout cela fait un Front national en tête dans six régions sur treize, dans plus de 50% des communes de France, et des évocations touchantes à un passé vichyste qui ne passe plus. Quels que soient les résultats de dimanche prochain, l'étau se resserre, le nœud coulant aussi. On ne s'en tirera plus avec le vieux disque dur des années 30. Pour desserrer l'étreinte, il faudra plus que jamais innover, imaginer, oser. Il est minuit, docteur Sarko.

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